Şefik Can Dede, est maître spirituel sur la Voie Mevlevîe, Sertarik (chef de fil de tous les Mevlevîs, élu comme cheikh principal de l’ordre au niveau mondial) et Mesnevîhân (enseignant et commentateur du Mathnawî). Il est né en 1909, à Tebrizcik, dans la région d’Erzurum (Turquie), dans une ancienne famille de notables et religieux éclairés.
Son père, Tevfik Efendi, est un mufti (juriste de la loi islamique) qui a également eu un parcours académique solide : il a étudié dans les meilleures universités et a lui-même enseigné l’histoire pendant de nombreuses années. Pendant la Première Guerre Mondiale, la famille doit faire face aux violences intercommunautaires de la région. Ils partent s’installer à Yıldızeli, une ville de Sivas, où Tevfik Efendi continue ses activités en tant que mufti, milite activement contre les actes répréhensibles, et contribuant ainsi à la paix et à l’unité nationale. Son action au service de son pays est reconnue par une lettre de remerciement de Mustafa Kemal Atatürk, qui le salue pour « son activisme religieux éclairé et moderne ».
Sur le plan académique, après l’école élémentaire, il est reçu en 1923 à l’école militaire secondaire de Tokat où il étudie, dans des conditions matérielles extrêmement dures mais qui n’affectent pas sa soif d’apprendre et sa vocation d’enseignant, qu’il a développée très tôt. Il dit à ce sujet «si je devais avoir mille vies, dans chacune d’elle je voudrais être enseignant».
En 1926, il intègre le lycée militaire Kuleli d’Istanbul pour finir diplômé de l’Académie Militaire de Turquie en 1931, dont il sort 19ème sur plus de 500 élèves. Selon ses propres dires, il gardera de ses quatre dernières années d’études militaires les meilleurs souvenirs de sa vie.
Sa passion pour la littérature et l’Histoire Turque amène Şefik Can à écrire pour des magazines culturels et littéraires renommés de l’époque en parallèle à ses études d’enseignant. Peu après sa sortie de l’Académie militaire, il est reçu à l’Université d’Istanbul pour une formation d’enseignant dont il obtient le diplôme en 1935. Le ministère de la Défense Nationale lui donne un poste de stagiaire au lycée militaire de Kuleli dont il était un ancien élève. C’est là qu’il rencontre Tâhir Olgun, qui le supervise dans son stage de démarrage dans la carrière d’enseignant.
On connait Tâhir Olgun sous le nom de Tâhirü’l-Mevlevî. En plus d’être un enseignant académique accompli et reconnu, il est poète et auteur de nombreux ouvrages de référence. Il est en effet l’un des grands spécialistes de Hz. Mevlânâ dont il a commenté plusieurs œuvres dans des livres qui font référence encore aujourd’hui. Il est également maitre spirituel et Mesnevîhân sur la Voie Mevlevîe, transmettant l’enseignement spirituel de Hz. Mevlânâ pour le perfectionnement de l’âme.
Cette rencontre est déterminante pour Şefik Can, qui, après avoir été le stagiaire de Tâhir Olgun, devient disciple de Tâhirü’l-Mevlevî. Il le restera avec bonheur jusqu’en 1951, date à laquelle son maitre rejoint l’Éternel. Şefik Can a continuellement exprimé sa profonde gratitude d’avoir été mené jusqu’à son maitre et d’avoir pu bénéficier de « seize années bénies de compagnonnage en tant que père et fils ». Il a écrit dans ses mémoires : « regardez la belle association divine ! j’ai reçu mes deux certifications académiques et spirituelles des mains bénies du vénérable Tâhirü’l-Mevlevî, et avec sa signature ! ».
Son parcours spirituel, commencé dans le giron paternel, au rythme des leçons de politesse spirituelle et de la récitation des poèmes des plus grands soufis, a préparé Şefik Can à une rencontre d’une telle dimension spirituelle. Auprès de son maitre, Şefik Can développe un amour inconditionnel pour Hz. Mevlânâ et se consacre à l’étude et l’enseignement de son oeuvre : il reçoit de son maitre le statut de Mesnevîhân qui lui permet d’enseigner le Mathnawî, œuvre majeure de Hz. Mevlânâ. A partir de 1960, Şefik Can commence à donner des entretiens publics sur le Mathnawî, qu’il continuera jusqu’à sa mort en 2005. Il écrit également plusieurs ouvrages de commentaires et de traduction d’œuvres mystiques – principalement celles de Hz. Mevlânâ.
Dans l’ensemble des œuvres de Hz. Mevlânâ, Şefik Can, était particulièrement épris du Dîvân-e Kabîr, dont il a lu une ode tous les jours jusqu’à son dernier souffle. Il s’agit d’une œuvre poétique et mystique où Rûmî chante l’Amour Divin qui résonne dans le cœur des amoureux. Şefik Can a traduit et commenté en turc cette autre œuvre majeure du Pir dans une langue accessible à tous, dans un livre intitulé DÎVÂN-I KEBÎR’den Seçmeler (Extraits choisis du Divan-e Kabir) qui fait référence pour les spécialistes de Rûmî.
Après la mort de Tâhirü’l-Mevlevî, Şefik Can devient Sertarik, faisant autorité sur l’ensemble de l’ordre mevlevî. Sa stature spirituelle est indiscutable et inégalée dans l’histoire contemporaine. Il a laissé dans l’ordre mevlevî une empreinte indélébile. Şefik Can était doué d’une connaissance littéraire, historique, philosophique et mystique remarquable, qu’il avait acquise pendant ses études académiques et spirituelles mais aussi dans sa propre expérience de vie, ayant vécu dans une période historique charnière et cruciale aux côtés des grandes figures de la Turquie de son époque.
La Vénérable H. Nur Artıran dit de son maitre : « A lui seul, Şefik Can était un livre d’histoire ». La richesse et l’étendue de son savoir, n’avaient d’égales que son immense humilité. Il les mettait exclusivement au service des autres, vocation qui lui est née très tôt. Il écrit ainsi à son père pendant ses études à l’école élémentaire : « Je vais essayer d’être utile à cette pauvre nation négligée. Tout le monde veille à ses propres intérêts ; moi, je foulerai aux pieds mes intérêts ! », et plus tard pendant ses études à l’Académie militaire il écrira à son père : «Je vis pour servir autrui. Je veux éveiller l’amour de la vérité dans les âmes…».
Şefik Can est un être d’une noblesse d’âme exceptionnelle : il traitait chacun avec bienveillance, amour inconditionnel et le plus grand des respects. Doué d’une immense qualité d’être, il se caractérisait d’abord par son humilité intrinsèque, par sa tolérance infinie et sa puissante inspiration. Fuyant la fortune et la célébrité, sa seule ambition était de servir les autres. Calme et serein, réservé dans son comportement, parlant peu, mais parlant bien, avec sa belle voix douce et intense, intuitif et attentif au moindre détail, il reflétait les plus belles qualités Mohammadiennes.
Après une belle vie de 96 ans, remplie de services et de bontés, Şefik Can s’unit au Seigneur à son tour le 23 janvier 2005. Son corps est enterré dans le cimetière des Hamushan à Konya, non loin du Mausolée de son Pir Hz. Mevlânâ. Chaque année, sa nuit de Noce avec le Bien-Aimé donne lieu à une visite à Konya et une humble cérémonie de remémoration par ses disciples. Dans l’introduction de DÎVÂN-I KEBÎR’den Seçmeler, Şefik Can écrit :
« Si vous parveniez au bonheur de ressentir et d’entendre intérieurement ces poèmes, puissiez-vous vous souvenir avec bonté de Şefik Can, cet humble serviteur, qui a choisi et traduit ces poèmes. Puissiez-vous porter un regard bienveillant sur ses erreurs et accorder à son âme la grâce de l’invocation de la Fatiha.
O chers lecteurs, connus ou inconnus ! Vous qui aimez la Sagesse et la Vérité ! Vous, les amoureux de Dieu ! Je me retire et vous laisse maintenant en tête-à-tête avec ces extraits du Dîvân-e Kabîr du grand Saint Hz. Mevlânâ que nous avons sélectionnés pour vous. Je vous salue avec respect et amour et prie pour votre santé et bien-être, et vous souhaite bien des plaisirs spirituels et des joies de l’âme. »
05/11/1999 – Professeur Colonel Şefik Can
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