Le Dîvân-e Kabîr est une œuvre magistrale de Hz Mevlânâ qui rassemble des poèmes composés dans différents styles de poésie islamique d’Orient. (ie. Odes, quatrains, éloges, etc).
Il est aussi appelé Kollîyât-e Shams-e Tabrîzî (کلیات شمس تبریزی), i.e. l’Intégrale de l’œuvre de Shams de Tabrîz, parce que dans beaucoup de poèmes, le nom de Shams de Tabrîz est mentionné dans le dernier distique. C’est une originalité du Dîvân de Hz. Mevlânâ, car traditionnellement, les poètes mentionnent leur propre nom dans le dernier distique des poèmes de leur dîvân. Or il n’y a aucune occurrence du nom de Rûmî dans le Dîvân-e Kabîr.
La mention du nom de Shams n’est pas systématique : on peut noter une centaine d’occurrences des noms Salâh al-Dîn Ferîdûn Zarkûbî صلاحالدین فریدون قونوی معروف به زرکوب et Husâm al-Dîn Tchelebi (Hüsameddin Çelebi en turc ou حسام الدین چلبی en persan). Rûmî utilise également le surnom خَمُش – khamosh [silence] ou خَموش کن – Khamûsh kon [fais silence]. Mais le plus souvent il utilise le nom de Shams car il s’agit de son alter-ego. Ceux qui ne connaissent pas ce recueil, pensent que les poèmes ont été écrits par Shams de Tabrîz. Mais on ne trouve aucune trace historique témoignant que Shams de Tabrîz ait jamais écrit des poèmes.
Le nombre de poèmes et de distiques dans le Dîvân-e Kabîr n’est pas connu avec exactitude, car il existe différentes versions avec des variantes. Le manuscrit le plus vieux qui se trouve à Konya contient 2,073 odes, et 21,366 distiques. Dans les éditions plus récentes, on trouve plus de 3200 odes et plus de 50 000 distiques. On compte également plus de 2200 quatrains qui porte à près de 60 000 le nombre de distiques du recueil.
L’Edition la plus fiable du Dîvân-e Kabîr et qui fait référence, est celle qui a été réalisée par le professeur Badî’ al-Zamân Forûzânfar بدیعالزمان فروزانفر de l’université de Téhéran. Tous les poèmes présents dans cette édition sont attribués de manière fiable à Hz Mevlânâ. Un grand travail de collecte des quatrains a été réalisé par Hz. Şefik Can Dede, aboutissant à la publication de Rubailer Divanı [le Dîvân des quatrains] en deux volumes, contenant l’original, la traduction en turc et des notes explicatives des quatrains. Les numéros des odes mystiques et des quatrains évoqués et présentés dans ce site sont issus de la numérotation du Professeur Forûzânfar.
Les poèmes du Dîvân-e Kabîr sont des poèmes lyriques déclamés par Hz. Mevlânâ dans un état d’extase, parfois en faisant le Semâ, parfois en se promenant dans les jardins de Meram à Konya. Ces vers sont le fruit d’un cœur qui brûle d’Amour pour le divin. Comme pour le Mathnawî, ils étaient pris en note par les amis et disciples de Rûmî, à mesure qu’ils étaient déclamés par le Maître. Le style de Hz. Mevlânâ est très reconnaissable pour les initiés : on perçoit très clairement le souffle de l’inspiration divine et la vibration vivante et incarnée de l’Amour Absolu que Rûmî y insuffle de tout son être. Certains poèmes qui circulent sont faussement attribués à Hz. Mevlânâ. Les spécialistes reconnaissent aisément ces « fausses attributions » du fait d’une différence de style où manque la puissance du Maître. Vous trouverez ci-dessous quelques exemples de quatrains et une ode mystique de Hz. Mevlânâ.
Dans la préface de l’édition du Professeur Forûzânfar, Hz Mevlânâ présente ses poèmes aux Amoureux de Dieu de la façon suivante :
« Ces poèmes sont des secrets spirituels, au sens subtil. Pour ceux qui ont donné leur cœur à Dieu, ils sont l’Arche de Noé. Ce sont des souffles saints, des brises agréables pour l’esprit et ils sont inspirés du divin. Ils ouvrent l’œil du cœur à l’aube. Ils sont des inspirations de Dieu, qui est exempt de toute impureté et de toute déficience. Ce sont des signes uniques, des expressions surprenantes. Ce sont des Lumières venues de la mer de l’Unité de Dieu. Ce sont d’immenses perles de la mer de l’invisible. Ce recueil est le Dîvân des Amoureux de Dieu. C’est la source de la joie spirituelle et de la lumière des cœurs.
C’est le mot vrai accepté par les Amoureux de Dieu et les gnostiques, et la clé des peuples de la Présence [de la paix]. C’est le domaine des hommes libres du monde invisible. C’est le cœur du cœur de ceux qui ont un cœur. C’est la fleur du jardin du cœur. Les mots de ce Dîvân sont les rivières qui irriguent de bénédictions et de joie de l’âme les assemblées de vrais serviteurs de Dieu. Ce sont des contes qui mentionnent les saints. C’est l’alchimie de la béatitude pour les âmes mures. Ce sont des sermons pour les gens qui ont une foi solide. Ce sont des ornements pour les gens qui aiment Dieu et s’abstiennent du démon. Ces mots sont l’épée du Seigneur contre les hypocrites.
Ce sont des élixirs pour des grands hommes et des hommes bons. Ce sont des présents pour les voyageurs sur le chemin de Dieu. C’est le langage des oiseaux de Djabarût. Ce sont les louanges des anges dans le monde invisible. »
S’il existe des traductions de l’œuvre complète en langue anglaise (par Nevit Ergin, ou Jeffrey Osborne par exemple), à notre connaissance il n’existe pas de traduction de l’ensemble du Dîvân-e Kabîr en français. Certaines odes et quatrains ont été traduits par Eva de Vitray Meyerovitch dans deux ouvrages distincts ‘Rûmî, Odes Mystiques’ et ‘Rubâi’yat’. D’autres auteurs sont régulièrement inspirés par l’œuvre du Sultan des Amoureux et en traduisent certains poèmes ou passages : ainsi Leili Anvar, Nahal Tajadod et son époux Jean-Claude Carrière par exemple. Mais la beauté de la plupart des poèmes de cette œuvre majeure reste encore inaccessible pour le lecteur francophone, faute de traduction.
Traduction d’Eva de Vitray Meyerovitch
Si tu es à la recherche de la demeure de l’âme, tu es une âme. Si tu es en quête d’un morceau de pain, tu es du pain. Si tu peux saisir le secret de cette subtilité, tu comprendras :
Chaque chose que tu recherches, c’est cela que tu es.
Sans Toi, la vie est illicite, ô mon âme.
Sans Toi, qu’est-ce que la vie, ô mon âme ?
Je fais le serment que la vie sans Toi,
Est la mort, nommée vie, ô mon âme.