Que représente pour vous ce rassemblement de l’islam spirituel aujourd’hui ?
Je suis convaincue que cette rencontre est de nature à contribuer à la paix dans la société dès lors que la presse et les médias y montrent l’intérêt nécessaire. Il indique un retour de l’homme avec son essence, avec sa réalité intérieure, avec ce pourquoi il a été créé, le but de sa création. Car celui qui est soufi ne considère pas le monde extérieur mais sa réalité au monde intérieur. C’est une science spirituelle qui a un rapport avec la connaissance de soi-même. Comment une personne qui s’ignore elle-même pourrait-elle connaître avec justesse les vérités de la société ?
Est-ce que vous pouvez nous présenter l’ordre soufi que vous représentez ?
Je m’appelle Hayat Nur Artiran. Je viens d’Istanbul. Je suis là-bas présidente d’une fondation pour l’éducation et la culture et nous œuvrons modestement sur les œuvres de Mevlânâ Rûmî, en Turquie.
Vous êtes une femme et c’est surprenant de voir une femme à la tête d’un ordre soufi. Est-ce que c’est fréquent ?
C’est une situation exceptionnelle.
A quoi est due cette situation exceptionnelle ?
Cette mission m’a été confiée par mon maître spirituel. Dans cette voie spirituelle, les maîtres forment des personnes pour qu’elles puissent prolonger leurs œuvres. Mon maître spirituel a préféré que cette personne soit une femme et modestement, c’est moi qui ai été choisie. Mon maître spirituel était un musulman et quelqu’un qui a compris l’islam dans toute sa profondeur. Dans l’islam réel, il n’y a pas de distinction entre hommes et femmes. Si aujourd’hui, une telle distinction a cours, c’est que l’on ne comprend pas la nature de l’islam.
Est-ce le signe d’une nouvelle ère pour l’islam qui va permettre aux femmes de prendre leur vraie place ?
On ne peut pas appeler cela une nouvelle ère parce que Dieu a déjà donné la juste place de la femme et l’a exprimée dans le Coran à travers l’islam. Mon maître spirituel n’a fait que remettre à jour une réalité, une vérité qui n’était pas vécue.
Et cet acte a une force symbolique ?
C’est le signe de la très grande maturité et sagesse de cet homme. En effet s’il est assez simple de considérer théoriquement que tout le monde est égal, il est beaucoup plus difficile de le mettre en pratique. Beaucoup de personnes affirment que les êtres sont égaux. Peu réussissent avec justice, tant sur le plan matériel que spirituel, à concilier théorie et pratique.
Pourquoi, particulièrement aujourd’hui, est-ce important, de mettre en lumière le Cheikh al-A’lâwî ?
Le Cheikh al-A’lâwî est justement quelqu’un qui connaissait son essence, sa réalité intérieure ; il connaissait la vraie nature de l’Islam. Il a réussi à pratiquer dans sa vie cette égalité sans rester sur le seul plan théorique. L’essence et la réalité intérieure de l’islam, c’est éprouver du respect envers toute personne en la traitant avec respect et justice. En revanche, on ne peut pas appeler amour le fait d’aimer et de respecter les pensées et les conceptions des personnes qui pensent comme nous, cela est de l’égoïsme. L’amour est de pouvoir aimer et respecter celui qui ne te ressemble pas, celui qui ne pense pas comme toi. Aimer et n’éprouver du respect, de l’intérêt qu’envers ceux qui te ressemblent, ce n’est pas une justice, c’est de l’injustice. La justice, c’est de donner envers toute personne ce qui lui revient avec justice. Le Cheikh al-A’lâwî est une grande figure spirituelle. Il a vécu cette vérité-là et est devenu un exemple pour nous. Il importe de rappeler à tout le monde les grandes figures comme Cheikh al-A’lâwî ou d’autres amis de Dieu et de suivre leurs traces de pas pour que cela puisse nous servir. Alors que si Cheikh n’avait vécu que pour ses propres intérêts, pour ses désirs personnels égoïstes, plus personne n’en aurait parlé aujourd’hui. Dans la mesure où le Cheikh al-A’lâwî a vécu pour les autres, en retour ces derniers le font vivre aujourd’hui.
Est-ce que vous avez une position par rapport à l’écologie ?
Ce n’est pas mon domaine, mais le soufisme englobe tout ce qui existe dans la création. Le fondement même du soufisme, c’est d’éprouver du respect envers toutes choses de la création comme si c’étaient des personnes ; si on n’arrive pas à éprouver ce respect envers toute la création, eh bien on peut avoir des doutes sur le soufisme que cette personne prétend vivre. Je souhaiterais dire cela avec une seule phrase : le soufisme c’est éprouver du respect envers la pierre, envers cette chose qui semble en apparence comme étant la plus inanimée qui soit. Le soufisme, ce n’est pas simplement de respecter l’homme, mais de respecter toutes les choses qui existent. On embrasse toute chose que l’on peut utiliser, on la remercie. En fait, ce n’est pas du respect envers la chose mais envers la réalité intérieure de cette chose.
Est-ce que l’écologie peut se passer de la spiritualité ?
Non. Car prends garde, même les pierres et les rochers que toi tu considères comme étant inanimées, ont une oreille pour entendre et des yeux pour voir. Ce ne sont pas simplement les hommes mais toutes les choses dans la création qui sont serviteurs du divin et qui obéissent aux commandements divins. Il est regrettable de constater que ce que nous appelons pierre ou arbres sont beaucoup plus responsables que les hommes. Ces choses inanimées ne commettent pas d’erreur dans leur condition de servitude. Mais nous qui avons été créés en tant qu’êtres humains, oublieux des lois du Coran, nous commettons des fautes. Toutes les choses qu’on nomme « écologie » ne sont pas séparées de l’homme. Chaque chose dans la création est la partie d’un tout, de sorte que la destruction de l’un revient à causer des dommages aux autres. En vérité, quand l’homme cause un dommage à l’écologie, cela signifie qu’il cause un dommage à lui-même.
CHEIKHA H. NUR ARTIRAN
Interview REFLETS