Chez les mevlevîs, le Semâ (سماع) désigne une cérémonie spirituelle de prières chantées et de musiques sacrées, où certains derviches tournent dans un mouvement rotatif méditatif, qui survient dans un état d’extase mystique et d’union avec le divin. Le mot Semâ est d’origine arabe, et vient du verbe سَمَعَ ـَ signifiant entendre. En effet, il s’agit moins de se mettre volontairement en mouvement ou de ” danser “ comme on a l’habitude de le dire par erreur, que d’ouvrir l’oreille du coeur pour entendre les voix célestes qui résonnent à travers la musique et les chants. Ainsi, en s’abandonnant totalement à l’amour divin qu’amplifie cette résonance, l’entendant peut se connecter à l’univers entier qui tourne de l’infiniment petit à l’infiniment grand. C’est dans cette connexion que le semâzen (derviche qui pratique le Semâ) se met au diapason de l’univers et des rythmes célestes qu’il entend et commence ainsi sa ronde cosmique et mystique, que Rûmî décrit dans les deux quatrains suivants :
ای روز برا که ذره ها رقص کنند
جان ها ز خوشی بی سر و پا رقص کنند
آن کس که از او چرخ و هوا رقص کنند
در گوش تو گویم که کجا رقص کند
هر ذره که در هوا و در هامون است
نیکو نگرش که همچو ما مفتون است
هر ذره اگر خوش است، اگر محزون است
سرگشته خورشید خوش بیچون است
« O jour lève-toi ! Les atomes dansent !
Les âmes éperdues, dansent d’extase ;
Celui par qui dansent l’air et le firmament,
C’est à ton oreille que je dirai où Il danse.
Tout atome, qu’il soit sur terre ou au ciel,
Regarde le avec bonté, car comme nous, il est éperdu d’amour ;
Tout atome, qu’il soit heureux ou misérable,
Est épris d’un soleil radieux et unique. »
Dans les cadences de la musique, nous dit Rûmî, se cache un secret. Si je le révélais, il bouleverserait le monde. Pour lui, les résonances perçues par l’oreille du coeur pendant le Semâ dans la connection au divin, nous rappellent la voix de l’âme, qui ivre d’amour, avait chanté Balâ, pour sceller, dans la pré-éternité, le pacte primordial d’avec le Seigneur :
دانی سماع چه بود؟ صوت بلی شنیدن
از خویشتن بریدن با وصل او رسیدن
Sais-tu ce qu’est le Semâ ? C’est entendre le chant du “Balâ“,
C’est renoncer à soi, et s’unir à Lui enfin ;
دانی سماع چه بود؟ احوال دوست دیدن
از پرده های لاهوت اسرار حق شنیدن
Sais-tu ce qu’est le Semâ ? C’est voir l’Ami dans tout son être,
Entendre à travers les voiles invisibles, Ses secrets, Lui qui est le Vrai ;
دانی سماع چه بود ؟ بی خود شدن ز هستی
اندر فنای مطلق ذوق بقا چشیدن
Sais-tu ce qu’est le Semâ ? C’est s’établir dans le non-être,
Dans l’annihilation absolue, entendre l’exaltant appel de la vie éternelle ;
***
Extrait d’une ode attribuée à Hz. Mevlânâ Rûmî
لیک بُد مَقْصودش از بانگِ رَباب
هَمچو مُشتاقانْ خیالِ آن خِطاب
Son but, en écoutant les sons du rebec, était,
comme c’est le cas des amoureux fervents de Dieu, (de se remémorer) cette allocution divine ;
نالهٔ سُرنا و تَهْدیدِ دُهُل
چیزَکی مانَد بِدان ناقورِ کُل
Car le gémissement du hautbois et le grondement du tambour
ressemblent quelque peu à cette trompette universelle.
***
مؤمنان گویند کآثارِ بِهِشت
نَغْز گردانید هر آوازِ زشت
Les vrais croyants disent que les influences du Paradis
ont rendu splendide chaque son déplaisant.
ما همه اَجْزایِ آدم بودهایم
در بِهِشت آن لَحْنها بِشْنودهایم
Nous avons tous fait partie d’Adam,
nous avons entendu ces mélodies au Paradis.
گَرچه بر ما ریخت آب و گِل شَکی
یادمان آمد از آنها چیزَکی
Bien que l’eau et l’argile de nos corps aient fait tomber sur nous un doute,
quelque chose de ces mélodies nous revient à la mémoire.
لیک چون آمیخت با خاکِ کُرَب
کِی دَهَند این زیر و آن بَمْ آن طَرَب؟
Mais, mélangés qu’ils sont à cette terre d’affliction,
comment ces sons aigus et graves pourraient-ils nous procurer les mêmes délices ?
***
پَس غذایِ عاشقان آمد سَماع
که دَرو باشد خیالِ اِجْتِماع
C’est pourquoi le Semâ est l’aliment des amoureux de Dieu,
car il contient l’image de la paix.
قُوَّتی گیرد خیالاتِ ضَمیر
بلکه صورت گردد از بانگ و صَفیر
De l’audition des sons et des chants, les images mentales tirent une grande force ;
en vérité, elles deviennent des formes (dans l’imagination).
آتشِ عشق از نَواها گشت تیز
آن چُنان که آتشِ آن جَوْزْریز
Le feu de l’amour est embrasé par les mélodies,
comme l’ardeur de l’homme qui jetait des noix dans l’eau.
Extrait du Mathnawî, Livre IV, distiques 731, 732, 735-738, 742-744 – Traduction Eva de Vitray-Meyerovitch
Pour Mevlânâ Rûmî, le Semâ est une véritable prière, un acte d’adoration et même, la forme la plus élevée de pratique spirituelle : il développe ce point; ainsi que les bienfaits du Semâ pour le pratiquant, dans nombres de ses poèmes, dont voici quelques extraits :
سماع از بهر جان بی قرارست
سبك بر جه چه جای انتظارست؟
مشین اینجا تو با اندیشه، خویش
اگر مردی برو آنجا که پارست
Le Semâ est le mouvement perpétuel de l’âme
Lève-toi lestement, l’attente n’est pas de mise!
Ne reste pas assis ici dans tes pensées,
Si tu es un homme, va là où se trouve le Bien-Aimé.
***
Extrait de l’ode mystique 338, in Dîvân-e Kabîr
سماع آرام جان زندگانست
کسی داند که او را جان جانست
Le Semâ c’est la paix de l’âme des vivants!
Il n’y a que l’âme de l’âme qui peut connaître cette vérité!
***
Extrait de l’ode mystique 339, in Dîvân-e Kabîr
برون زهر دو جهانی چودر سماع آیی
برون زهر دوجهانست این جهان سماع
اگرچه بام بلندست بام هفتم چرخ
گذشته است از این بام نردبان سماع
Si tu entres dans le Semâ, tu sors des deux mondes,
Le monde du Semâ est au-delà de ces mondes;
Bien que le toit du 7ème ciel se trouve au plus haut des cieux,
L’échelle du Semâ le traverse et s’élève bien au-delà
***
Extrait de l’ode mystique 1295, in Dîvân-e Kabîr
Lieux :
Le Semâ a traditionnellement lieu dans le semâhâne, une pièce à la forme arrondie, représentant un cercle qui ceint à la fois le monde apparent et le monde de l’invisible, embrassant ainsi le manifesté et le subtil, l’ici-bas et l’au-delà.
Pendant la cérémonie de Semâ, la place du cheikh, le maître de l’ordre qui officie, est marquée par la présence d’un tapis en peau de mouton de couleur rouge. Cette place s’appelle Post – mot d’origine persane پوست qui désigne la fourrure ou la peau d’un animal (ici celle du mouton). La couleur rouge est celle de l’émergence et la manifestation divine. C’est aussi le secret de la perfection spirituelle et du califat. La personne, debout ou assise, qui se tient à cette place, représente le Pîr, Hz. Mevlânâ lui-même.
La ligne imaginaire qui relie l’extrémité du tapis rouge du cheikh au milieu de la porte de la semâhâne est appelée Hatt-ı Istivâ, ou ligne médiane, l'”équateur” en somme, qui coupe le semâhâne en son milieu. C’est une ligne hautement symbolique, et les derviches prennent soin de l’enjamber pour qu’aucun pied ne se pose dessus.
Musique et chants :
Dans le semâhâne, l’endroit d’où se joue la musique de la cérémonie, s’appelle Mutrib ou Mutribhâne. Le collège des derviches musiciens qui interprète la musique dans cet espace, est désigné par le terme Mutribân. L’office chanté pendant le Semâ est l’Âyîn-i şerîf, littéralement la Sublime Messe, et l’assemblée qui chante les prières et les oraisons qui le composent, est désignée par le terme Âyînhânlar. Pendant le Semâ, ils se trouvent dans le Mutrib avec les Mutribân.
Les instruments de musique que l’on trouve traditionnellement dans la célébration du Semâ sont essentiellement le Ney (flute de roseau), le Kudûm (instrument de percussion) et le Halîle (cymbale). En dehors de ces instruments clés, on trouve aussi des instruments à cordes que sont le Rebâb, le Tanbûr, l’Ûd (Oud), et le Kânûn, une cithare orientale. Il peut y avoir également le Dâire ou Daf (instrument à percussion). Vous trouverez des photos de ces instruments dans la galerie ci-contre.
Les pratiquants :
Le derviche Mevlevî est désigné par le mot cân en turc (se lit djân) – mot d’origine persane جان, qui veut dire âme ou vie. Le pratiquant du Semâ, ie. le cân qui tourne pendant le Semâ, s’appelle semâzen.
L’entrée dans le semâhâne :
La Cérémonie commence par l’entrée des cân dans le semâhâne. Les uns derrières les autres, ils s’avancent jusqu’à la place désignée du cheikh, devant le tapis rouge, où ils s’inclinent en signe de déférence : les mains sur la poitrine, le gros orteil du pied droit posé sur le gros orteil du pied gauche, le buste légèrement incliné vers l’avant à partir de la taille et la tête légèrement penchée vers la poitrine. Ils saluent ainsi le Post, après quoi ils vont se mettre à leur place.
La place de rang le plus élevé – après celle du cheikh, est celle qui se trouve la plus près de la place du cheikh.
Le semâzenbaşı désigne le derviche qui supervise les semâzen. C’est lui qui se tient le plus près du Maitre dans le semâhane et personne d’autre que lui ne porte les manches de son hırka. Les autres semâzen portent leur hırka sur les épaules, avec les manches pendant sur les côtés.
Le dernier à entrer dans le semâhâne, c’est le cheikh. Après avoir parcouru les semâzen de son regard plein d’amour et de compassion, il s’incline devant eux pour les saluer. À cet instant, chacun à l’endroit où il se trouve, s’incline devant le cheikh pour le saluer en retour. Le cheikh prend alors place sur le Post, se prosterne, embrasse le sol et s’assoit. Et les semâzen prenant exemple sur le maître, en font de même à leur place respective.
Cette assise des cân avant la cérémonie du Semâ n’est pas une assise ordinaire. Les cân s’assoient comme après la prosternation de la prière rituelle au moment de réciter la Tachahhoud, dans un état méditatif et de connexion au divin, s’abandonnant à Sa miséricorde, Sa majesté et Sa grandeur. Ce tableau s’appelle Acz içinde kemâl, La perfection dans l’humilité.
Les louanges liminaires, le Na’t-ı Şerif :
La cérémonie du Semâ commence par la récitation du Na’t-ı Şerif نعت شریف. Il s’agit d’une louange au Prophète Mohammad qui représente l’Amour. A travers lui, c’est une louange qui s’adresse à Allah, son Seigneur et Créateur et à tous les prophètes qui l’ont précédé. Dans le Na’t-ı Şerif composé par Buhûrîzâde Mustafa Itrî Çelebî Efendi, Hz. Mevlânâ s’adresse au Prophète Mohammad comme suit :
C’est toi le bien-aimé de Dieu, l’envoyé du Créateur unique,
C’est toi le pur et l’unique que Dieu a choisi parmi Ses serviteurs
Le bien-aimé de Dieu, perfection et élévation faites homme ;
Tu es le bien-aimé des prophètes et la lumière qui nous éclaire.
La nuit du Mi’râj, chevauchant auprès de Gabriel,
c’est toi qui as franchi la hauteur de 9 dômes verts
Ô envoyé d’Allah, toi, tu sais que tes nations sont humbles
Tu es le guide des humbles, de ceux qui n’ont ni tête et ni membres
Tu es le cyprès du jardin de la prophétie, le printemps du renouveau de la science,
Tu es le plant de roses et l’hirondelle la plus élevée du jardin de la charia
Shams de Tabrîz connait par coeur la louanges aux prophètes.
Tu es Mustafâ et Mujtaba, le Maître très-élevé
O Médecin des cœurs, O Saint de Dieu
یارسول الله حبیب خالق یکتا تویی
برگزیده ذوالجلال پاک و بی همتا تویی
نازنین حضرت حق صدر وبدر کائنات
نور چشم انبیاء چشم و چراغ ما تویی
در شب معراج بودت جبرئیل اندر رکاب
پانهاده بر سر۹ گنبد خضرا تویی
یا رسول الله تو دانی امتانت عاجزند
رهنما اجزان بی سر و بی پا تویی
سرو بستان رسالت نو بهار معرفت
گلبن باغ شریعت بلبل بالا تویی
شمس تبریزی چه داند نعت پیغمبر زبر
مصطفی و مجتبی و سید اعلی تویی
یا طبیب القلوب یا ولی الله
یارسول الله حبیب خالق یکتا تویی
برگزیده ذوالجلال پاک و بی همتا تویی
نازنین حضرت حق صدر وبدر کائنات
نور چشم انبیاء چشم و چراغ ما تویی
در شب معراج بودت جبرئیل اندر رکاب
پانهاده بر سر۹ گنبد خضرا تویی
یا رسول الله تو دانی امتانت عاجزند
رهنما اجزان بی سر و بی پا تویی
سرو بستان رسالت نو بهار معرفت
گلبن باغ شریعت بلبل بالا تویی
شمس تبریزی چه داند نعت پیغمبر زبر
مصطفی و مجتبی و سید اعلی تویی
یا طبیب القلوب یا ولی الله
***
C’est toi le bien-aimé de Dieu, l’envoyé du Créateur unique,
C’est toi le pur et l’unique que Dieu a choisi parmi Ses serviteurs
Le bien-aimé de Dieu, perfection et élévation faites homme ;
Tu es le bien-aimé des prophètes et la lumière qui nous éclaire.
La nuit du Mi’râj, chevauchant auprès de Gabriel,
c’est toi qui as franchi la hauteur de 9 dômes verts
Ô envoyé d’Allah, toi, tu sais que tes nations sont humbles
Tu es le guide des humbles, de ceux qui n’ont ni tête et ni membres
Tu es le cyprès du jardin de la prophétie, le printemps du renouveau de la science,
Tu es le plant de roses et l’hirondelle la plus élevée du jardin de la charia
Shams de Tabrîz connait par coeur la louanges aux prophètes.
Tu es Mustafâ et Mujtaba, le Maître très-élevé
O Médecin des cœurs, O Saint de Dieu
Le son du kudûm :
Lorsque le Na’t-ı Şerif est terminé, le kudûmzenbaşı – le “premier” joueur du kudûm – frappe quelques coups sur son instrument. Le son qui en émane résonne comme l’ordre d’Allah le Très-haut : Kun ! !كُن, c’est-à-dire Sois ! (Coran – Sourate Yâsîn 36:82 – إِنَّمَآ أَمْرُهُۥٓ إِذَآ أَرَادَ شَيْـًٔا أَن يَقُولَ لَهُۥ كُن فَيَكُونُ – Tel est, en vérité, Son ordre : quand Il veut une chose, Il lui dit : Sois ! et elle est)
L’improvisation du ney :
Les coups sur le kudûm annoncent le ney qui peut commencer à chanter. Le neyzenbaşı – “premier” joueur de ney – effectue une ouverture improvisée appelée taksîm. Le mode, ou l’échelle mélodique choisie (appelé maqâm) est celui de l’Âyîn-i şerîf, c’est-à-dire la prière chantée qui est prévue ce jour-là. Tout d’abord, le neyzenbaşı interprète quelques unités du maqâm avec les sons graves pour en interpréter le caractère. Ensuite, il se promène dans les tons moyens en laissant monter les mélodies qui surgissent spontanément dans son monde intérieur et passant aux tons aigus il chante le sens et les mystères du premier couplet du Masnavî en observant le maqâm.
L’improvisation au ney installe les qualités mohammadiennes du Na’t-ı Şerif dans les cœurs dans une connexion au divin.
Le son du ney symbolise le souffle divin qui donne la vie.
La marche circulaire autour du semâhane, le Devr-i Veledî دور ولدی :
Lorsque l’improvisation du ney s’achève, il règne une atmosphère spirituelle dans le semâhane. Les kudûmzen frappent alors un coup sur leur kudûm droits, tandis que les semâzen, ainsi que le cheikh, d’une même voix intérieure murmurent ensemble Allah et, frappant le sol d’un pas puissant, ils se lèvent. Ce coup est appelé Darb-ı Celâlî, c’est-à-dire le coup frappé par amour d’Allah et de Son attribut Le Maître de la Majesté ذو الجلال.
Les instruments de musique qui se trouvent dans le mutrib entament alors dans une harmonie spirituelle un prélude au Devr-i Kebir – le grand tour. Seuls les joueurs de ney sont debout dans le Mutrib. Le cheikh commence alors une marche lente autour du semâhane au rythme du prélude. Les semâzen le suivent les uns derrière les autres, au même pas, en récitant silencieusement le nom Dieu : Allah, Allah, Allah… battant ainsi intérieurement le rythme à chaque pas. Cette marche circulaire est le Devr-i Veledî دور ولدی, ou le tour de Sultan Walad. Elle demande beaucoup de concentration et une grande précision, ce qui donne aux semâzen une démarche pleine de dignité et d’une grâce admirable.
Arrivée devant le Post du cheikh, face à face, les semâzen se regardent un instant dans les yeux et plus particulièrement entre les sourcils, puis se font face, la main droite sur le cœur (sous leur hırka) et les pieds joints. La façon dont les semâzen se regardent se dit Cemâl Seyri, littéralement contemplation de la face, puis la salutation mutuelle la main sur le coeur se dit Niyâz Cemâl Cemâle littéralement salutation face à face. C’est la consécration du souffle divin et de la présence de la perfection de l’être absolu dans l’être humain. En même temps, c’est une prière pour qu’Allah Tout-puissant manifeste Son attribut As-Salâm السّلام – la Paix. Cette marche circulaire est répétée ainsi trois fois. Il s’agit pour les âmes se trouvant dans le corps des semâzen de se saluer mutuellement.
La cérémonie du Semâ et les salutations :
Le Semâ symbolise le mi’râj المعراج, le voyage spirituel des cân, qui dans cette ascension se tournent vers Dieu et par amour pour Lui, s’élèvent en abandonnant leur ego, s’annihilant ainsi en Lui, et perfectionnant leur qualité d’être, leur humanité en somme. Et de retour au monde matériel, elles se consacrent à aimer et servir toute la création.
Première salutation :
Après le Devr-i Veledî, lorsque l’Âyîn-i şerîf commence à être récité par les mutribân, les semâzen qui ont pris place sur leur peau de mouton respective, saisissent leurs hırka par le col avec le bout des doigts de la main droite et les retirent les faisant glisser par terre d’un geste élégant. Ils émergent ainsi de leur hırka tout de blanc vêtus (couleur du Tennure et Destegül qui les couvrent et qui symbolisent leur linceul, comme s’ils venaient une nouvelle fois au monde, libérés de leur enveloppe charnelle (représentée par le hırka, cf. page Habits et Symboles). Ils mettent ensuite leurs bras en croix sur leurs poitrines avec leur bras droit au-dessus du gauche et tenant leurs épaules du bout des doigts. Par cette posture d’humilité, ils expriment qu’ils se sont dépouillés de leur existence et s’abandonnent à l’amour dans une totale acceptation. Avec ce maintien qui rappelle la lettre Alif, ils incarnent et attestent l’unité de Dieu.
Alors, le cheikh debout sur la peau de mouton rouge, s’incline et baisse la tête en signe de salutation et de respect. Les semâzen au même moment s’inclinent aussi et abaissent la tête. Le cheikh fait alors quelques pas en avant et dit discrètement “Faites le tour de votre être véritable, soyez dignes de votre aspiration et de votre Créateur, obéissez aux commandements divins et mettez-vous en action ” et il s’incline à nouveau. Tous les semâzen s’inclinent également et saluent. Le semâzenbaşı s’avance en premier, s’incline et embrasse la main du cheikh, tandis que celui-ci s’incline et embrasse le sikke du semâzenbaşı. Le sikke représente la pierre tombale de celui qui le porte (cf. page Habits et Symboles). Par ce salut, le semâzenbaşı demande et reçoit du cheikh l’autorisation pour la cérémonie du Semâ qui peut alors commencer. Il recule alors de deux pas, le visage tourné vers le cheikh et le salue à nouveau. À ce moment, le cheikh, le semâzenbaşı et les cân se saluent de nouveau de l’endroit où ils se trouvent.
Le semâzenbaşı se tient alors en face et un peu à droite du cheikh. Chaque semâzen avance à son tour pour saluer et embrasser la main du cheikh qui s’incline également et embrasse son sikke. Puis le semâzen commence à tourner à l’endroit que le semâzenbaşı lui indique avec son pied.
Les bras du semâzen s’ouvrent, comme un oiseau déploie ses ailes, frôlant le buste par un geste descendant des épaules à la taille puis remontant à partir de la taille jusqu’au-dessus de la tête. Les bras du semâzen finissent tendus vers le ciel. La main droite, déployée dans le prolongement du bras droit et dépassant légèrement la tête, est ouverte paume vers le ciel en guise de supplication, prête à recevoir la grâce et la faveur divines; la main gauche, tournée vers le sol, fait face à la terre afin de lui transmettre le flux spirituel, la grâce et la faveur reçues de Dieu. La tête du semâzen est inclinée sur le côté droit, son visage est complètement tourné vers son épaule gauche. Les yeux fermés, il porte son attention sur le cœur et commence à tourner en répétant intérieurement le nom Allah.
Chaque Allah prononcé bat le rythme de la prière chantée ainsi que la rotation du semâzen sur lui-même : la première syllabe – “Al” – correspond au pied droit qui se lève et la dernière syllabe “lah” se pose en même temps que le pied droit retrouve la terre. Les larmes du semâzen coulent involontairement et en silence ; la joie et l’extase le saisissent ; son cœur, ses pas, tout en lui bat au rythme d’Allah. Et les sons qui émanent, viennent de Lui.
Lorsque le dernier semâzen commence sa ronde, le cheikh se met en retrait à l’arrière de la peau de mouton rouge, et, après avoir salué, en inclinant la tête, l’espace sacré du semâhâne (appelé Meydân-i âli) où les cân tournent, il se tient là debout. Le semâzenbaşı salue alors le cheikh puis commence à marcher parmi les semâzen afin d’assurer le bon déroulement du Semâ.
Dans le Semâ il y a à la fois une rotation autour de l’axe vertical et un mouvement circulaire autour du semâhane, à l’instar des planètes qui tournent autour de l’axe polaire, en même temps que dans un mouvement elliptique autour du soleil.
Le mouvement circulaire du Semâ représente le désir de Dieu et sa recherche inlassable ; la rotation axiale, elle, symbolise le désir de devenir un papillon dans la lumière de la manifestation divine qui s’allume dans le coeur. La fin de la première salutation est signalée par un changement de rythme (le Usül Evfer ) annonçant ainsi la deuxième salutation.
Les semâzen s’arrêtent et se regroupent par deux ou trois, épaule à épaule, les bras croisés sur la poitrine dans une posture d’humilité et de prière. La première salutation se termine ainsi, avec la naissance des cân à la vérité, chacune à sa propre mesure, et la prise de conscience d’être au service du Très-haut.
Deuxième salutation :
Au début de la deuxième salutation, le cheikh porte en prière la supplication suivante : “Ô vous qui tournez dans le cercle de l’amour, que la paix d’Allah soit sur vous… Qu’Allah fasse que vous et vos sens ainsi que vos intentions atteigniez le point de tout commencement, dans le salut et la paix.” La cérémonie est répétée alors exactement comme pour la première salutation.
La deuxième salutation exprime l’admiration de l’homme pour la grandeur et la puissance d’Allah, qui se donne à expérimenter en observant la magnificence de la création.
Troisième salutation :
Au début de la troisième salutation, le cheikh murmure intérieurement la prière suivante : “Ô vous qui marchez sur le chemin de l’amitié et de l’amour, que le salut d’Allah soit sur vous. Qu’Allah lève le voile de vos yeux afin que vous puissiez voir les secrets de ce tour et celui de son centre véritable…”.
La troisième salutation qui est la partie la plus longue de la cérémonie, représente le sacrifice de la raison à l’amour. Il consiste à s’abandonner entièrement, s’en remettre totalement à plus grand et ainsi de faire pleinement l’expérience de la réunion d’avec le Bien-Aimé et l’anéantissement en Lui.
Quatrième salutation
À la fin de la troisième salutation, la cérémonie se déroule encore une fois, de la même façon. Au début de cette dernière salutation, le cheikh prie silencieusement la supplication suivante : “Ô vous les amoureux et les sincères, que le noble nom d’Allah As-Salâm (la Paix) et Sa manifestation soient sur vous. Vous avez complété le tour du cercle et achevé votre chemin. Vos âmes sont purifiées. Allah vous a fait la grâce de la proximité d’avec Lui, il vous a fait parvenir à la véritable station de proximité.”
A la quatrième salutation, quand tous les semâzen sont entrés en Semâ, le cheikh s’avance devant le Post, salue et se met à tourner. Il vient au centre du semâhâne et commence une rotation axiale autour de la verticale. Il n’ouvre cependant pas les bras. De sa main gauche, il tient le bas de son hırka d’une façon que le côté droit recouvre le gauche, afin qu’il ne s’ouvre pas et de sa main droite, il tient le col droit de son hırka.
Lorsque les dernières paroles de l’Âyîn-i şerîf retentissent, les mutribân jouent un morceau instrumental avec le rythme Düyek Uslü Velveleli , suivi d’une improvisation au ney. À ce moment-là, tous (y compris le cheikh) se trouvent sur la piste du semâhane dans un mouvement giratoire et méditatif. Seul résonne le son du ney et le crissement des pieds des semâzen qui tournent. Cette dernière improvisation se poursuit jusqu’à ce que le cheikh en faisant le Semâ se dirige jusqu’au Post.
La quatrième salutation représente le retour du cân, qui ayant accompli son élévation spirituelle, son mi’râj, revient accomplir son devoir dans le monde, pour être au service de la création, avec le consentement de son Seigneur. Il est le serviteur d’Allah, de Son Livre révélé, de Son Prophète et de toutes les créatures, à qui il dédie son intelligence, ses meilleurs sentiments et tout son amour.
Maintenant, le cân est conscient des principes de la Foi et ayant atteint la station de proche de Dieu, il parvient à une assurance sincère. Il a purifié son âme, s’est vu révéler le secret de mourir avant de mourir, et fort d’une âme qui tient d’une main de maître son égo, il peut jouir d’une joie et d’un plaisir spirituel infinis.
La Psalmodie du Coran :
Arrivé devant la peau de mouton rouge, le cheikh sort du Semâ et après avoir embrassé le sol, il s’y assoit. Un des Âyînhânlar se trouvant dans le mutrib commence alors à réciter le Coran en entonnant la Ta’awwudh تَعَوُذ et la Basmala بَسْمَلَة, c’est à dire l’invocation A`ūdhu billāhi min ash-shaitāni r-rajīmi, bi-smi llāhi r-raḥmāni r-raḥīm (، بِسْمِ ٱللَّٰهِ ٱلرَّحْمَٰنِ ٱلرَّحِيمِأَعُوْذُ بِاللهِ مِنَ الشَّـيْطٰنِ الرَّجِيْمِ) qui veut dire Je demande la protection d’Allah contre le démon maudit. Au nom d’Allah, le Tout-miséricordieux, le Très-miséricordieux.
La Prière :
Lorsque la récitation du Coran est terminée, une prière est faite et la Fatiha est récitée.
Le cheikh se lève sur le Post et salue. Les semâzens saluent à leur tour et se relèvent.
Le Gülbank est alors récité :
Le Gülbank گل بانگ ou « le chant de la Rose » :
Que ce noble moment soit béni.
Que le bien triomphe et que les maux se dissipent.
Que nos prières soient entendues dans la Demeure Suprême.
Qu’Allah le Majestueux purifie et illumine nos cœurs par l’éclat de Ses noms essentiels.
Que les cœurs des amoureux s’ouvrent.
Que les instants et la grâce s’amplifient.
Par le souffle de Hz. Mevlânâ, par le mystère de Shams et de Walad, par la Lumière de Muhammad, par la noblesse de l’imâm ‘Ali, et par l’intercession de Muhammad, le Prophète ummi,
Que Ta Miséricorde soit sur les mondes,
Puissions-nous dire Hûûûûû
Hûûûûû
Vakt-i şerif hayrola.
Hayırlar fethola.
Şer ler defola. Niyâzımız dergâh-i izzette makbül ola.
Allah Azıymüşşan, ism-i zâtının nûru ile kâlplerimizi pür nür ve mutahher kıla.
Kulüb-i âşıkaan küşâde ola.
Demler, safalar ziyade ola.
Dem-i Hazret-i Mevlâna, sirr-i Şems u Veled, Nür-i Muhammedi, keram-i Hazret-i İmâm-i Ali, ve şefaat-i Muhammedinin nebiyyil ûmmiyy,
Rahmeten lil alemin,
Hûûûûû diyelim
Hûûûûû
Vakt-i şerif hayrola.
Hayırlar fethola.
Şer ler defola. Niyâzımız dergâh-i izzette makbül ola.
Allah Azıymüşşan, ism-i zâtının nûru ile kâlplerimizi pür nür ve mutahher kıla.
Kulüb-i âşıkaan küşâde ola.
Demler, safalar ziyade ola.
Dem-i Hazret-i Mevlâna, sirr-i Şems u Veled, Nür-i Muhammedi, keram-i Hazret-i İmâm-i Ali, ve şefaat-i Muhammedinin nebiyyil ûmmiyy,
Rahmeten lil alemin,
Hûûûûû diyelim
Hûûûûû
***
Que ce noble moment soit béni.
Que le bien triomphe et que les maux se dissipent.
Que nos prières soient entendues dans la Demeure Suprême.
Qu’Allah le Majestueux purifie et illumine nos cœurs par l’éclat de Ses noms essentiels.
Que les cœurs des amoureux s’ouvrent.
Que les instants et la grâce s’amplifient.
Par le souffle de Hz. Mevlânâ, par le mystère de Shams et de Walad, par la Lumière de Muhammad, par la noblesse de l’imâm ‘Ali, et par l’intercession de Muhammad, le Prophète ummi,
Que Ta Miséricorde soit sur les mondes,
Puissions-nous dire Hûûûûû
Hûûûûû
Tous les cân ainsi que cheikh disent ” Hûûûûû ” d’une voix forte et ce autant que le souffle le permet, marquant ainsi la fin de la cérémonie.
Les texte et citations de cette page sont inspirés par 3 sources : ❥ l’article Sema nedir, de Selâhaddin Çelebî Hidâyetoğlu,
❥ le livre Mevlâna Hayatı – Şahsiyeti – Fikirleri de Şefik Can et ❥ le livre Rûmî et le soufisme d’Eva de Vitray Meyerovitch.
Les traductions qui n’ont pas de référence dans le texte, ont été réalisées par Aşkın Canları, administratrice du site