Que dit le soufisme au sujet du féminin? Influencée par le poète Djalâl ad –Din Rûmî, dit Mevlânâ, cette branche mystique de l’islam nous rappelle la complémentarité du masculin et du féminin. Rencontre avec Cheikha Nur Artıran, mère de trois enfants, née en 1954 dans une famille soufie, qui vit à Istanbul. Ele est la seule femme, en quatre cents ans, à être devenue cheikha, une guide spirituelle mevlevîe.
Malgré le hadîth du Prophète Muhammed « parmi les biens de votre monde, il m’a été donné d’aimer trois choses : les femmes, le parfum et – la fraîcheur de mes yeux – la prière », l’islam est souvent considéré par les Occidentaux comme une religion hostile aux femmes. Qu’en est- il vraiment selon vous ?
La femme a été privée de ses droits et dénigrée tout au long de l’Histoire. Avant l’avènement de l’islam, elle n’était pas considérée comme un être humain à part entière. Elle était vendue et échangée telle une vulgaire marchandise. Avec l’avènement de l’islam, l’esclavage fut aboli, la vente de la femme comme simple objet et son exploitation par son propriétaire, la faisant déambuler à moitié nue, furent proscrites. Lors de son dernier sermon, le prophète Mohammad a exprimé avec limpidité l’idée que les femmes ont également des droits sur les hommes : « Ô hommes ! Il est vrai que vous avez des droits sur vos femmes, mais elles ont aussi des droits sur vous. Souvenez-vous que vous les avez prises comme femmes seulement avec la permission et de Dieu et en remplissant un pacte avec Lui. »
Dans le Coran, aucune distinction n’est faite entre l’homme et la femme. Tous deux sont égaux face aux commandements et aux interdits de Dieu. Tous les versets coraniques ayant trait à la femme ont une dimension protectrice. Malheureusement, certains versets n’ont pas été compris. Le Prophète a souligné le fait que tous les hommes sont, en tant que tels, « égaux comme les dents du peigne ». Il a défini l’homme et la femme comme les deux moitiés d’un tout. Pour cette raison, selon l’Islam, la supériorité d’un être réside uniquement dans sa proximité avec Dieu et dans la conscience de sa responsabilité à son égard. A l’époque du prophète Muhammad, la femme et l’homme pouvaient accomplir leurs actes de dévotion dans un même lieu de prière. Bien plus, les versets qui parvenaient au Prophète sous forme de révélations, étaient à la fois consignés par écrit sur divers objets et mémorisés par des hommes et des femmes. Avec l’avènement de l’Islam, des responsabilités spirituelles furent pour la première fois confiées aux femmes. Celles-ci furent alors en mesure de prendre leur place dans la vie sociale. Considérée comme des êtres humains à part entière, leurs droits furent préservés. Tandis que les femmes chrétiennes étaient laissés-pour-compte dans le domaine spirituel, les femmes musulmanes faisaient ériger des lieux de prière et y dispensaient des enseignements. Des monuments en attestent à Istanbul. À titre d’exemple, c’est une femme qui a fait ériger le mausolée de Mevlana et sa fameuse coupole verte, il y a de cela presque huit cents ans. Nous pourrions donner des centaines d’autres d’exemples.
Ni l’Islam, ni aucune autre religion céleste ne peuvent être les ennemis de la femme. La religion appartient à Dieu et se résume au noble caractère, à la miséricorde et à l’unicité. Une religion authentique ne devrait donc laisser aucune place à la dualité. S’il y a une dualité et une discrimination au sein d’une religion, on aurait tort de considérer celles-ci comme des vérités inhérentes à cette religion. La religion n’est rien d’autre qu’unité, paix, compassion, miséricorde et générosité. Les erreurs ne procèdent pas d’elle, mais de la manière dont les hommes l’interprètent et la pratiquent.
Mais la situation de la femme est à l’heure actuelle toute autre ? Qu’en pensez-vous ?
L’ignorance qui prévalait dans la société préislamique, n’a pas pu être supprimée d’un seul trait, elle s’enracine dans un passé multiséculaire. Il faut admettre que les gens ne renoncent pas aisément à leurs habitudes. C’est le nœud du problème. L’Islam a instauré les droits et devoirs des hommes et des femmes avec justice et justesse. Néanmoins des modes de pensée ignorants, propres à la culture et à la tradition arabe de l’époque préislamique, ont gardé de la vitalité depuis des siècles et des siècles. C’est la cause majeure de l’incompréhension vis-à-vis de la femme musulmane. Aucune ignorance, aucun trait culturel ou tradition ne font partie intégrante de la religion en tant que telle. Toutefois, certaines coutumes restent vécues, à tort, comme des réalités religieuses.
Que vous inspire la parole de Mevlana selon laquelle « la femme est le rayon de la lumière divine » ? Le spirituel n’a pas de genre, mais pensez-vous que le féminin porte le divin ?
Le prophète Muhammad fait ici allusion à la sacralité dont les femmes sont investies. C’est une parole entièrement spirituelle. Cette sacralité des femmes s’explique par le fait qu’elles portent en elles à la fois les attributs du Tout Miséricordieux et du Très Miséricordieux. Tandis que les hommes revêtent uniquement ce dernier attribut, les femmes sont dotées des deux attributs en même temps. Bref, elles femmes sont détentrices du mystère de ce verset crucial dans la pensée islamique : « Au nom d’Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux ». C’est la raison pour laquelle les femmes sont dotées d’un potentiel spirituel élevé. Il s’agit d’un dépôt sacré octroyé par le Créateur, eu égard à leur qualité de mères. C’est là que réside le sens spirituel profond de la parole de Mevlana dans le Mesnevi : « La femme est la lumière de Dieu. Il semble qu’elle ne soit pas une créature, mais une créatrice. » Parce que les femmes sont mères, elles sont pourvues, du fait de leurs facultés créatrices, de plus d’affection, de compassion, de miséricorde, de bienveillance et de patience que les hommes. Par ailleurs, tant que les hommes ne développeront pas ces attributs maternels, ils ne pourront espérer devenir des êtres accomplis ni des maîtres spirituels. Ainsi, il incombe nécessairement aux hommes de développer ces ressentis, innés chez la femme. Toutefois, nous soulignons que les femmes ne pourront accéder à cette sacralité qu’en fonction de leur propension à détenir ces attributs divins et à les utiliser à bon escient. Sinon, non seulement ce noble caractère ne leur est d’aucune utilité, mais en outre, elles endossent une responsabilité bien plus grande que celle des hommes si elles ne sont pas capables de préserver ces beaux attributs octroyés comme un présent par le Créateur, et de les utiliser lorsque cela s’impose.
Selon vous, certaines approches féministes peuvent engendrer à leur tour de la discrimination ?
Les combats, approches féministes qui séparent hommes et femmes reviennent, selon moi, à déconsidérer et à dénigrer autrui. Faire fi des hommes, n’est-ce pas en même temps condamner les femmes à leur fin ? Car elles ne peuvent procréer ni enfanter sans le concours des hommes. En outre dans quelle mesure est-il pertinent de se défendre contre les actes de discrimination des hommes si c’est pour adopter la même attitude qu’eux ? Une telle posture ne nous rabaisse-t-elle pas au rang des ignorants ? Ne devrions-nous pas plutôt nous efforcer de mieux nous comprendre les uns les autres, de nous respecter et de vivre ensemble plutôt que de nous nier mutuellement ? D’un point de vue spirituel, il n’y a, en vérité, que l’être humain. De fait, ma position ne se cantonne pas uniquement à une approche féministe. Je ne suis partisane d’aucune forme de discrimination. Mon objectif n’est pas de séparer, mais de réunir. Chaque chose se trouvant en ce monde est, en réalité, une partie différente d’un même tout. Ce n’est que si nous comprenons bien cela, dans son sens le plus profond, que nous pourrons réellement être heureux et en paix.
Vous avez participé en 2014, à Oran, à la première édition du Congrès international féminin pour une culture de la paix. Pensez-vous que l’énergie féminine sait porteuse de paix ?
En participant à ce congrès, je voulais à la fois aider les femmes à prendre conscience du divin dissimulé en elles et contribuer à la juste compréhension de la valeur que l’islam accorde aux femmes. L’énergie féminine est naturellement plus subtile, plus douce et plus constructive. Elle porte par essence l’amour, la compassion et la miséricorde. Cela étant, cette énergie féminine se trouve également chez les hommes. Certains sont même plus doux, plus subtils et plus calmes que certaines femmes. Ce n’est pas le fait d’être détenteur de l’énergie féminine de manière innée qui importe, mais c’est d’en être conscient afin de la diffuser dans le monde entier en étant animé de sentiments positifs et pacifiques. Il ne s’agit donc pas d’une question de sexe, mais de conscience aiguisée.
Êtes-vous en accord avec cette idée très répandue selon laquelle « si le monde était dirigé par des femmes, ce serait un monde de paix » ?
Cette opinion ne me semble pas très judicieuse. Il n’est pas nécessaire d’être une femme pour avoir un cœur empli d’amour, de compassion et de miséricorde. Certes, ces attributs sont plus abondants chez les femmes en raison de leur capacité à enfanter. Toutefois, il nous faut souligner à nouveau qu’il est important d’être conscient de cette richesse spirituelle et de l’utiliser à bon escient quand la situation l’exige. Essayons d’apprécier la pertinence de cette pensée à l’aune de la famille, en laissant de côté la question de la gouvernance du monde.
Comment se fait-il qu’il y ait autant de divorces, de disputes et de querelles intestines à l’intérieur des foyers où l’on trouve au moins une femme ? Il ne suffit pas d’être une femme pour créer un climat de paix de d’amour. Celui-ci nécessite d’abord une prise de conscience aiguë et un éveil collectif. Le plus sûr chemin vers la paix et l’amour est de considérer que chaque chose dans cet univers est dans une relation d’interdépendance, et par conséquent d’éprouver du respect envers la diversité et les différences qui existent ici-bas.