Dans l’œuvre originale, 18 points que chaque musulman, chaque soufi se doit absolument de connaître et d’incarner dans son existence ont été développés avec clarté en prenant appui sur le Mathnawî de Rûmî, les versets coraniques, les hadiths et les paroles de grands saints.

L’ouvrage paru en France sous le titre “Rûmî - L’épreuve de l’amour” a été publié en 9 chapitres dans un langage accessible à un lecteur francophone.

Comme vous le savez, il existe dans l’ordre Mevlevi une station spirituelle nommée Mesnevihan. La fonction du Mesnevihan consiste à lire le Mathnawî et à transmettre aux auditeurs les histoires imbriquées les unes dans les autres, en explicitant les différents symboles de la manière la plus juste. Cela traduit un code de politesse spirituelle de l’ordre Mevlevi, respecté depuis Rûmî jusqu’à nos jours.

Mon maître Şefik Can était le dernier Mesnevihan de l’époque récente. J’ai commencé à exercer cette fonction après lui. Même si je ne suis pas aussi compétente que mon Maître, je partage avec les gens depuis 15 ans tout ce que j’ai pu apprendre de lui. Le Mathnawî, dans sa version originale, est rédigé sous forme de poèmes. Le terme même de mathnawî désigne dans le dictionnaire une forme de poésie. Cependant, pour ceux qui font les entretiens spirituels sur le Mathnawî, cette dimension poétique n’est jamais mise en avant. Il en est ainsi depuis l’époque de Rûmî jusqu’à nos jours. Ce n’est pas la poésie qui importe dans les entretiens sur le Mathnawî, mais l’essence et la Réalité intérieure des sujets spirituels exprimés sous forme de poèmes ; il s’agit de savoir dans quel but et à quelle fin ces poèmes ont été déclamés. C’est ce qui explique que les entretiens spirituels sur le Mathnawî sont réalisés par des personnes spéciales.

Voilà pourquoi nos entretiens spirituels mettent surtout l’accent sur le sens profond qu’ils recèlent, plus que sur les poèmes eux-mêmes. Au demeurant, c’est là la volonté de Rûmî lui-même. Rûmî exprime sa pensée au sujet de la poésie dans ses livres Sipehsalar et Fihi Ma Fihi :

« J’aime apporter de la joie dans le cœur des gens. Pour cette raison, je déclame des poèmes à mes amis qui viennent me voir, pour qu’ils ne s’ennuient pas. Car ils apprécient les poèmes. Alors que les poèmes m’ennuient. J’arrête les poèmes un certain temps. Je ne veux plus en déclamer. Mais ils souhaitent que je continue. Je récite alors des vers, mais je jure par Dieu, que je suis excédé par la poésie. Cela m’indispose, me fatigue et m’ennuie. A mes yeux, il n’y a rien de plus désagréable et de plus mauvais que la poésie. Dans la ville de Balkh, où je suis né, l’activité de poète était considérée comme une occupation honteuse. Si je n’étais pas venu en Anatolie, si j’étais resté dans mon pays, je n’aurais certainement pas récité des poèmes ; j’aurais enseigné et rédigé des ouvrages. »

En vérité, Rûmî n’a pas pour préoccupation de déclamer des vers agréables à entendre. Sa seule préoccupation est d’éveiller les gens, de les orienter vers leur origine, leur essence, leur Réalité intérieure. C’est pourquoi la poésie constitue pour Rûmî un moyen, et en aucun cas une fin en soi ! Pour reprendre ses mots, il s’est exprimé avec des poèmes car les gens de son époque les appréciaient. Malheureusement, la plupart des gens s’attachent uniquement à l’harmonie et au rythme musical des vers poétiques, sans percevoir le sens spirituel que ces paroles renferment dans leur essence. Pour cette raison, il convient de prendre très au sérieux ces paroles de Rûmî.

« La poésie est le vêtement de mes paroles. Tout le monde se préoccupe du vêtement. Hélas, personne n’est au courant de la beauté qu’il recouvre. »

Il s’agit fondamentalement de comprendre la profondeur du sens de ces paroles, au lieu de s’attacher à l’harmonie et au rythme musical des poèmes, afin de s’orienter pleinement vers la Réalité intérieure de ces propos spirituels.

H. Nur Artıran Istanbul, 23.03.2021